
PULSE de Juin 2025
AUJOURD’HUI ON VOUS PARLE :


CLIMBCORE
Les vêtements de grimpe deviennent objet de style.
Dans la continuité des tendances « gorpcore », « hiking-core » ou « camping-core », le détournement des codes de l’escalade pour un usage citadin répond au besoin d’une mode utilitaire, non-genrée, prônant l’efficacité sur l’esthétique pure. Symbolisant les valeurs contemporaines de connexion à la nature, d’anticonsumérisme apparent et de dégaine cool, la pratique de l’escalade devient prétexte à un imaginaire vestimentaire. Bien au-delà de l’activité, c’est le style de vie fantasmé qu’elle évoque qui permet à des marques comme Gramicci ou Klättermusen, de revenir sur le devant de la scène. Le climbcore s’inscrit dans une mutation de fond du vêtement de sport: il ne sert plus uniquement à performer, mais aussi à exprimer une appartenance culturelle.
Fondée en 1982 en Californie du sud par Mike Graham, grimpeur membre du Stonemasters, un collectif de grimpeurs iconoclastes de Yosemite, Gramicci a été un pionnier du vêtement technique pensé comme lifestyle, bien avant que cette logique soit démocratisée. Parce qu’elle incarne un outdoor authentique, loin des communications agressives des géants comme The North Face, la marque bénéficie de l’engouement pour la redécouverte d’archive de marques à héritage. Avec son gousset à l’entrejambe, ses coupes amples en coton résistant et sa ceinture intégrée à boucle ajustable d’une main, ses bas comme le G-Short sont devenus iconiques. Dans les années 2000, Gramicci a été relancée avec succès au Japon, où elle est devenue culte suite à des collaborations avec BEAMS, Nanamica, F/CE, Nonnative, et une adaptation des coupes et coloris au goût nippon: plus de minimalisme et plus de sophistication. Le Japon a ainsi redéfini la marque comme une icône du style outdoor hybride, influençant ensuite son retour en Europe et aux USA.
Dans une veine plus éco-innovant, Klättermusen, fondée en 1975 par des alpinistes et randonneurs de la région montagneuse de Jämtland en Suède, séduit pour sa technicité radicale. La marque signifie la « souris grimpeuse » en suédois, une image humble, mais agile et résiliente qui fait écho à son esthétique d’expert. Les systèmes de réglages complexes, zips cachés, asymétries, sont autant de codes visuels plébiscités comme marqueurs entre connaisseurs. Le vêtement outdoor devient un manifeste personnel: porter Klättermusen, c’est revendiquer un rapport engagé à la nature, à la technologie et au design.
Aujourd’hui, les consommateurs cherchent des produits à forte valeur d’innovation, avec une vraie mission. Loin d’une re-stylisation pour un usage mode, les produits techniques de première main se transposent directement dans le lifestyle. Leur narration très ancrées dans la culture sport et leur design très lisibles culturellement répondent parfaitement à la quête d’authenticité et d’héritage actuelle.

NOUVEAUX ACTEURS OUTDOOR
Emergence de marques de haute sensibilité sportive.
Depuis quelques saisons, une nouvelle génération de marques brouille les frontières entre sport, mode et introspection. Des labels comme GNUHR, 9.9 Journey, Peak Workshop ou Inner Self, proposent une vision du vêtement technique très éloignée de celle des grands noms historiques. Nées sans héritage compétitif, elles s’ancrent davantage dans une culture créative que dans une tradition sportive. Ces marques racontent une autre histoire du sport, plus silencieuse, plus sensible, où bouger devient un langage visuel et émotionnel.
L’émergence de ces marques s’inscrit dans un contexte où les grands noms du sport semblent avoir perdu leur pouvoir d’inspiration. Leur communication standardisée, leurs campagnes trop lisses, et leur lien distendu avec les pratiques réelles ont laissé un espace à d’autres formes d’expression. Parallèlement, la pratique sportive a changé de statut : elle n’est plus seulement une performance mesurable, mais devient un moment pour soi, un outil de régulation mentale, un prolongement du mode de vie. Dans ce contexte, lancer une marque de sport ne nécessite plus un passé d’équipementier ou de sponsor olympique. Ce qui compte désormais, c’est d’avoir un point de vue, une manière de raconter le mouvement, une vision du rapport au monde et la capacité à le traduire en matière, en coupe, en image. Grâce aux outils numériques, à des circuits courts de fabrication, ces micro-marques peuvent exister rapidement, parler directement à une communauté ciblée, et imposer leur sensibilité dans un paysage longtemps dominé par les géants de l’industrie.
Parmi ces nouveaux acteurs, chaque marque développe un langage singulier, tout en partageant une sensibilité commune. Inner Self Running, par exemple, explore la course comme un moment d’introspection, loin de la performance chronométrée. Sa proposition graphique sobre et ses messages tournés vers le calme intérieur résonnent avec une génération en quête d’équilibre. 9.9 Journey s’inspire quant à elle de l’univers de l’escalade, non pour en reproduire les codes techniques, mais pour en traduire l’esprit dans des silhouettes fluides, presque méditatives. On est ici dans une approche contemplative de l’outdoor. GNUHR joue davantage sur un registre brut, presque architectural, avec des jeux de matières techno-organiques qui invitent à se fondre dans la nature. Enfin, Peak Workshop puise dans le trail et la montagne une inspiration dépouillée, où chaque coupe semble pensée pour l’usage autant que pour la poésie du geste.
Ce que ces marques ont en commun, c’est leur manière de traduire une pratique ou un imaginaire sportif en expérience sensorielle, vestimentaire, graphique. Elles ne singent pas le sport : elles le réinventent dans une forme plus lente, plus intime, plus quotidienne. Mais dans un paysage saturé de micro-labels, il faut plus que du style pour exister : une capacité à créer du lien, à rassembler, à faire communauté. Car au fond, ce que ces marques proposent, ce n’est pas seulement une nouvelle esthétique du sport, mais une autre manière d’en faire partie.

RETAILS MUSEOGRAPHIQUES
Des espaces culturels de transmission.
Arc’teryx à Shanghai, The North Face à Tokyo, Salomon sur les Champs-Élysées… Ces dernières saisons, les marques outdoor investissent les grandes villes avec des pop-ups qui ne ressemblent plus à des boutiques, mais à de véritables musées. Ces espaces immersifs marquent une évolution stratégique forte : on ne vient plus simplement y acheter un produit, mais vivre une rencontre avec l’histoire d’une marque. On passe d’une logique transactionnelle à une démarche de transmission.
L’enjeu est clair : il ne suffit plus de montrer ce que l’on vend, il faut raconter pourquoi et comment cela a été conçu. Ces marques bâties sur l’innovation techniques, choisissent aujourd’hui de mettre en scène cet héritage produit à travers une véritable démarche éducative. On y retrouve des pièces d’archives accrochées comme des œuvres d’art, des prototypes exposés sur socle, un design d’espace exclusif avec un choix de matériaux en lien avec l’univers de la marque, des vidéos immersives d’expéditions ou d’athlètes ambassadeurs.
Chaque détail du lieu reflète les valeurs fondatrices de la marque. C’est une forme de retail culturel, où l’émotion passe par la pédagogie, et où l’acte d’achat se transforme en acte d’adhésion. C’est particulièrement frappant dans des lieux comme l’Alpha center d’Arc’teryx à Shanghai, où l’espace épuré met en scène les produits comme des objets de design industriel, complétés par des ateliers de réparation ou des conférences d’explorateurs. À Tokyo, The North Face “Sphere” joue la carte d’une programmation hybride entre boutique, galerie et centre d’archives. Et chez Salomon, à Paris, la scénographie met en lumière la recherche technique derrière chaque chaussure, dans un décor inspiré des laboratoires et des sommets alpins.
Ces expériences montrent un glissement intéressant : les marques ne se contentent plus de raconter leur histoire, elles nous y impliquent. Elles ne s’adressent pas seulement au consommateur, mais à un public curieux, en quête de sens, de récits authentiques et de liens durables. Dans un monde saturé de produits, c’est désormais la capacité à transmettre une culture, à incarner des valeurs et à faire vivre un héritage qui distingue les marques les plus désirables.